Un matin d’avril, j’étais assise dans le refuge Camp Stream Hut, près de Lake Tekapo. Mes amis étaient partis sur le plus haut sommet du Te Araroa, le Stag Saddle, quelques heures plus tôt. J’avais commencé la journée avec eux, mais une maladresse m’avait fait tomber dans la rivière. Les pieds et les jambes trempés, j’ai rapidement constaté qu’une marche de plusieurs heures dans la neige serait dangereuse pour moi et surtout, pour mes orteils. J’ai rebroussé chemin et je suis allée les attendre au refuge. Ce qui était un événement malchanceux s’est toutefois transformé en une rencontre marquante de mon parcours sur le Te Araroa.
Je lisais assise à l’extérieur du refuge lorsqu’un couple âgé s’y est présenté vers midi. Je suis entrée pour manger et discuter avec eux. Ils avaient comme objectif de toucher tous les refuges de la Nouvelle-Zélande. Toucher plus d’un millier de refuges. Le projet de toute une vie. Un projet qu’ils faisaient en couple depuis qu’ils étaient jeunes. À près de 75 ans, ils touchaient ce midi-là leur 699e refuge et ils partageaient ce moment avec moi.
En discutant avec eux, j’ai vite compris que leur projet les amenait loin des sentiers battus, à mille lieux des trajets touristiques. Ils me parlent alors d’un refuge où personne n’a mis les pieds depuis un an, d’un autre qu’on atteint uniquement en parcourant un petit kilomètre et demi en plusieurs heures ou bien de ceux qu’on atteint uniquement en alpinisme auxquels ils s’étaient attaqués dans leur jeunesse. Pour réussir ce qu’ils ont entrepris, tu dois être plus qu’un marcheur du dimanche, tu dois être un tramper et un alpiniste (Tramping est un terme néo-zélandais qui définit de la randonnée pédestre de calibre avancé).
Plusieurs mois après cette rencontre, j’ai découvert qu’ils étaient loin d’être les seuls. Ces individus, appelés Hut baggers, collectionnent les refuges en divergeant complètement de leur route lorsque l’occasion se présente afin d’en ajouter un à leur collection. Un homme s’est même lancé comme défi de visiter chaque refuge du Department of Conservation (DOC) en 3 ans, un défi qu’il a nommé : 900 days, 900 huts. Malheureusement, il aurait interrompu son défi après seulement 91 jours et 99 refuges à la suite d’une blessure au genou. Intriguée par ce phénomène, j’ai poursuivi mes recherches et j’ai trouvé un site intitulé Hut Bagger qui permet de s’inscrire, d’ajouter des refuges à sa collection et de suivre les Top Bagger. Le meilleur à ce jour atteignait un total de 709 refuges.
Qu’est-ce qui attire autant les gens à aller voir ces refuges ? Que peuvent-ils en retirer ?
Depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande, j’ai une fascination pour son système de refuges. Je comprends donc aisément l’attrait de les collectionner comme des cartes de hockey. Sans oublier que ces petites maisons rudimentaires m’avaient servi d’abris presque tous les soirs pendant 6 semaines. Chaque jour de marche sur le Te Araroa se terminait de la même façon : un soulagement lorsque j’apercevais celui où j’allais me réfugier pour la nuit. Parfois, caché derrière les arbres ou de l’autre côté d’une courbe, il apparaît à la dernière minute, par surprise. D’autres fois, il se trouve au loin dans la clairière, avec de la fumée qui s’échappe de la cheminée annonçant chaleur et compagnie. Chaque refuge représente bien plus qu’un endroit où dormir et s’abriter du vent, de la pluie, du froid. Bien que semblables, ils ont tous quelque chose d’unique : leur construction, leur position, leur histoire. Ils sont un point de repère dans un environnement qui change au fil des jours. Ils représentent la sécurité dans un milieu sauvage et solitaire.
Unique au monde, le système de refuges néo-zélandais donne un accès privilégié à un territoire parfois difficile d’accès. Bien qu’on en retrouve dans d’autres pays, aucun d’entre eux n’a un système aussi étendu que celui qu’on retrouve en Nouvelle-Zélande.
Histoire du système de refuges néo-zélandais*
Comment la Nouvelle-Zélande en ait venu à bâtir autant de refuges ? À qui s’adressait les premiers qui ont été construits ?
Les refuges de la Nouvelle-Zélande proviennent de différentes industries qui se sont développées au fil de son histoire. Les agriculteurs et les chercheurs d’or ont été parmi les premiers à construire ses abris dont certains existent toujours.
Vers la fin du 19e siècle, le gouvernement se serait mêlé de la partie en construisant des refuges au Aoraki/Mont Cook et sur la Milford Track, les premiers de type récréatif. Durant les années 1920 et 1930, la Nouvelle-Zélande assiste à une explosion de leur construction avec la formation de plusieurs clubs de randonnée qui ont vite compris que ces refuges représentaient un moyen d’unifier leurs membres.
Toutefois, ce qui eut un effet marquant sur le développement des refuges a été le début de la chasse sélective des cerfs qui allait durer près de 40 ans. C’est également dans ce contexte que débuta le parachutage des matériaux de construction, facilitant la construction.
Entre 1950 et 1970, le New Zealand Forest Service bâtit un grand nombre de refuges dont les classiques de 4 et 6 lits.
Puis, dans les années 1960 et 1970, le Department of Lands and Survey continua d’en construire dans les parcs nationaux et commença à créer des refuges plus larges.
En 1987, le DOC remplaça les deux entités précédentes et il devint responsable du maintien et de la construction d’un grand nombre de refuges de la Nouvelle-Zélande. Le réseau grandit avec l’industrie du tourisme tout comme la capacité d’accueil des abris, dont la Pinnacles Hut, pouvant accueillir jusqu’à 80 personnes, la plus grande à ce jour.
Malheureusement, je ne peux m’attarder davantage sur l’histoire des refuges, d’autant plus que chacun d’eux en a une qui lui est propre. Certains ont abrité une famille ayant décidé de vivre loin de la civilisation, d’autres des déserteurs qui fuyaient la 2e guerre mondiale ou encore un homme suspecté de meurtre. Certains ont été détruits par le feu ou par des inondations soudaines, tuant parfois ses occupants.
Comment fonctionne le système de refuges néo-zélandais?
Le fonctionnement est relativement simple pour une grande majorité de refuges qu’on retrouve en Nouvelle-Zélande. Il y a deux grandes catégories : ceux sur le territoire du DOC et les autres. Je vais me concentrer sur ceux qu’on retrouve sur le territoire du DOC. Les autres, moins nombreux, peuvent fonctionner de façons variées et ils seraient impossibles de résumer leurs particularités dans cet article.
Les refuges sur le territoire du DOC
La majorité des refuges situés sur le territoire du DOC ne demande pas de réservation et peuvent être payés à l’aide des Backcountry Hut Pass ou des Backcountry Hut Ticket.
- Backcountry Hut Ticket
- Billet pour refuge avec entretien (15 $) : 1 billet/1 nuit en refuge avec entretien
- Billet pour refuge standard (5 $) : 1 billet/1 nuit en refuge standard, 3 billet/1 nuit en refuge avec entretien.
- Backcountry Hut Pass
- Donne accès aux refuges avec entretien et standard
- Tarifs:
- 6 mois – Adulte : 92 $, Jeune (11 à 17 ans) : 46 $, Enfant (10 ans et moins) : Gratuit.
- 12 mois – Adulte (12 mois ) : 122 $, Jeune (11 à 17 ans) : 61 $, Enfant (10 ans et moins) : Gratuit.
Bien qu’un grand nombre de refuges utilise ce système, ce n’est pas le cas de tous ceux sur le territoire du DOC. Il est possible de les regrouper à l’intérieur de cinq grandes catégories :
- Refuge sur les Great Walks
- Refuge avec entretien
- Refuge standard
- Refuge de base ou bivouac
- Autres types de refuge
Refuge sur les Great Walks
En raison de la popularité de ces randonnées, les refuges de certaines Great Walks doivent être réservés longtemps en avance pour s’y aventurer pendant la haute saison (allant de septembre/octobre à avril). Malgré tout, si ton horaire est flexible, tu peux prendre une chance. Comme les gens réservent parfois six mois en avance, il y a souvent des annulations. Il est donc parfois possible de réserver quelques jours ou quelques semaines avant de partir. J’ai réservé la Milford Track, la Kepler Track et la Routeburn Track vers le 15 novembre et j’ai commencé respectivement ces randonnées le 29 novembre, le 8 décembre et le 14 décembre.
Les refuges situés sur les Great Walks sont très grands, pouvant parfois loger plus d’une quarantaine de personnes. Ils offrent tous des toilettes, l’accès à l’eau par le biais d’un réservoir d’eau de pluie et des matelas. Certains d’entre eux offrent en plus, le réchaud et le combustible, l’eau courante, de l’éclairage et des gardiens de refuge.
Tarifs :
Les coûts varient grandement d’un refuge à l’autre (entre 15 et 140$/personne/nuit en 2018-2019), en fonction de différents facteurs :
- Popularité de la Great walks
- Néo-zélandais vs visiteur international
- Adulte ou enfant*
- Haute ou basse saison
*Les refuges et la très grande majorité des sites de camping sont gratuits pour les jeunes de 17 ans et moins.
Refuge avec entretien et refuge standard
Ce sont ceux que vous rencontrerez le plus souvent si vous quittez les sentiers ultra touristiques de la Nouvelle-Zélande. Ils fonctionnent selon un système de « premier arrivé, premier servi ». Vous croiserez peut-être des bénévoles dans les refuges avec entretien qui s’en occupent généralement sur une base hebdomadaire.
Si vous avez une Backcountry Hut Pass, vous aurez à la montrer s’il y a des bénévoles. Sinon, vous devez déposer vos billets dans la boite prévue à cet effet. Le système fonctionne, en partie, sur le concept des Honesty Box. Je vous encourage fortement à respecter les frais demandés qui sont peu dispendieux comparativement aux coûts d’entretien et de maintien d’un tel système.
Refuge de base ou bivouac
Ces refuges sont généralement très petits et peu, voire pas du tout entretenus. Ils sont toutefois gratuits. Ils sont également plus présents dans les endroits peu fréquentés et plus éloignés. Ils attirent généralement des trampers plus expérimentés.
Autres types de refuge
Cette catégorie regroupe des refuges gérés par des clubs sur les territoires du DOC et ceux qui fonctionnent de manière similaire au refuge des Great Walks (réservation et coût). Certains d’entre eux gérés par les Clubs demandent une réservation alors que d’autres demandent un don permettant d’aider à leur entretien.
Comment occuper son temps au refuge
Livre d’intentions
Bien plus qu’un livre qui permet de marquer ta présence dans l’histoire du refuge, il s’agit d’une façon d’aider les secouristes à te retrouver si le pire devait arriver. Toutefois, ce qui est beaucoup plus amusant, c’est d’y lire les messages laissés par les occupants précédents. Tu pourras y apprendre des anecdotes sur le refuge, apprendre la présence d’animal dans les environs ou à l’intérieur et vérifier où sont rendus des randonneurs croisés précédemment. Le livre des intentions est un incontournable pour découvrir la personnalité de chaque refuge.
Poêle à bois
La majorité des refuges située en dessous de la ligne des arbres sont équipés d’un poêle à bois. En plus de permettre de cuisiner sans utiliser ton brûleur, il procure une chaleur plus que bienvenue, surtout après une journée à marcher sous la pluie. Toutefois, le bois n’étant pas apparu par magie, il est important de le remplacer pour les prochains randonneurs qui se présenteront au refuge. Plus qu’une marque de respect, il pourrait s’agir d’une question de sécurité par rapport à l’hypothermie pour certains d’entre eux. N’oublie pas toutefois d’utiliser le bois mort et que tu ne dois pas abattre d’arbres. N’oublie pas de vérifier qu’il y a suffisamment d’aération pour éviter une intoxication au monoxyde de carbone.
Lire
On peut trouver dans plusieurs refuges des livres abandonnés par d’autres. Prends en un pour remplacer celui que tu viens de terminer et laisse ce dernier sur place pour la prochaine personne.
Bien entendu, tu pourras discuter avec les autres occupants, manger et jouer à des jeux de cartes ou de dés. Tu pourras aussi en profiter pour découvrir les alentours. Personnellement, j’ai déjà ramassé des moules à marée basse me permettant de m’improviser un repas de roi. Tu devrais bien trouver comment t’occuper…
Une fois que j’aurai quitté ce beau pays, je ne retrouverai plus jamais la particularité du système de refuges néo-zélandais. Désormais, chaque fois que je mettrai les pieds dans un refuge, où qu’ils soient dans le monde, j’aurai une pensée pour la Nouvelle-Zélande. Tels les souvenirs d’une belle histoire d’amour, ces derniers auront toujours une place de choix dans mon cœur.
*Si vous êtes intéressés par l’histoire des refuges, voici la référence qui m’a permis d’en découvrir davantage sur leurs histoires.
Shelter from the Storm. The Story of New Zealand’s Backcountry Huts. Par Shaun Barnett, Rob Brown et Geoff Spearpoint aux éditions Potton & Burton.