Les femmes et le plein air : Mythes et préjugés (Partie 1)

Marie-Andrée Côté, auteure du blogue The Flying Hiker, lors de sa première journée de la traversée des présidentielles dans les White Mountains

Récemment, je suis allée à une soirée qui présentait plusieurs court-métrages sur des femmes aventurières : « Gutsy Girls Adventure Film Tour New Zealand ». Alpinisme, vélo de montagne, course de trail, ski… mais surtout des femmes inspirantes qui ne se souciaient pas des conventions. Malheureusement, le constat qui est ressorti à la fin de la soirée, c’est que l’égalité des sexes est loin d’être gagnée dans le domaine du plein air. L’un des exemples le plus criant est l’histoire de Caroline Gleich. Elle est la première femme et la quatrième personne à avoir réussi en ski l’ensemble des 90 lignes escarpées de la «  Chuting Gallery » en Utah. Depuis ce jour, elle reçoit de nombreux commentaires haineux de personnes qui la traitent de « bitch » et qui remettent même en question la valeur de ses exploits. Pourquoi? Parce qu’elle est belle, porte de beaux vêtements, a un compte Instagram avec près de 150 000 followers  et… est une femme. Tout simplement.

Le court-métrage Follow Through qui présente cette aventurière est disponible sur Youtube.

Cette soirée m’a donné envie de me questionner sur les mythes et les préjugés que peuvent rencontrer les femmes dans la pratique du plein air. J’entends régulièrement des commentaires pouvant paraître banals ou maladroits sur les femmes et le plein air. Ces commentaires remettent pourtant en question nos capacités et notre place dans ces activités. Je les entends souvent de la part d’hommes et de femmes pour qui j’ai beaucoup de respect et que j’adore.

Cette discrimination envers les femmes qui font du plein air n’est pas «  blanche » ou «  noire » (pour ne pas faire un mauvais jeu de mots). Il existe en effet une gradation dans la teneur des propos tenus, les plus forts menant à des comportements qui, eux, s’attaquent directement à la femme. J’ai décidé de les regrouper et en faisant l’exercice, je me suis rendu compte que j’allais avoir besoin d’un deuxième article. 

Dans les petits pots, les meilleurs onguents

Tout d’abord, il faut dire que je mesure 5 pieds 2 (1,57 mètres). Évidemment, cela me rend parfois la tâche plus difficile en randonnée. Il m’arrive d’avoir plus de difficulté à passer par-dessus un arbre qui est tombé ou à grimper par-dessus un gros rocher.

Si je marche avec des gens qui ont de plus longues jambes que moi (ce qui arrive souvent), il est possible que j’aie besoin de faire 15 pas au lieu de 10 pour parcourir la même distance qu’eux. Lors de ma randonnée de six semaines sur le Te Araroa, mes amis étaient d’ailleurs très impressionnés que je me rende au même endroit qu’eux à chaque soir malgré les distances à parcourir et les obstacles à franchir. Ils m’ont félicitée gentiment en me disant à quel point, ils étaient impressionnés de ma performance. Ils m’ont assurée que cela n’avait rien à voir avec le fait que je sois une femme. Entre vous et moi, cette clarification à elle seule est porteuse de sens. Néanmoins, je crois qu’ils étaient sincères avec moi et qu’ils ne voyaient pas concrètement le lien avec mon sexe.

Sauf que… soyons honnêtes ! Auraient-ils félicité de la même façon un homme de ma taille ? Auraient-ils accordé la même importance au fait qu’il ait réussi ? Auraient-ils été étonnés de son succès ? Je crois que non. Être une femme petite et mince est souvent associée à la faiblesse. Cette conception, inconsciente pour plusieurs, peut mener involontairement à des commentaires réducteurs malgré la bonne intention qui se cache derrière.

Je suis en train de me rendre sur le mont Madison sur les Présidentielles
Crédit : Anne-Lise Charon

Même si je voulais vous convaincre que les femmes et les hommes sont identiques, il reste que nos corps sont différents. Je n’ai pas de pénis, cet outil merveilleux qui permet d’aller au «  petit coin » n’importe où, n’importe quand (ou presque). Pour ma part, je dois utiliser la technique «  accroupie en petit bonhomme », les fesses exposées aux grands vents. En plein été, dans une forêt dense, cette technique me convient amplement. Toutefois, quand je marche plusieurs heures sur une crête sans trace de végétation et que celle-ci est populaire, j’aimerais bien pouvoir faire mes besoins discrètement. Quand je marche dans la neige en raquettes, la technique de s’accroupir est également moins efficace pour les épargner de quelques gouttes de liquide. Bien que j’aie appris cette technique à peu près en même temps que j’ai appris à être propre, je considère que c’est tout de même plus simple pour les hommes d’aller au petit coin en plein-air.

Toilette au sommet du mont Albert
Pause-pipi au sommet du mont Albert en
Gaspésie

Certes, nos corps sont différents, mais ça ne change absolument rien à mes capacités de faire de la randonnée ou toutes autres activités de plein air. Je m’adapte aux situations, aux paysages, au décor. Finalement, je ne connais aucune femme amante du plein air qui s’empêcherait d’en faire parce qu’elle est différente de la gent masculine… morphologiquement parlant !

Être femme et vulnérable… une fois par mois !

Oui, mais faire du camping sauvage pendant vos menstruations, ça pourrait attirer les ours.

Celle-là, je l’ai entendue quelques fois. Cette «  légende rurale » tire ses origines d’une histoire bien triste. Deux femmes ont été tuées par des grizzlis alors qu’elles avaient leurs menstruations. Bien que les sites de camping étaient jonchés de déchets, ce qui représente un garde-manger intéressant pour ces bêtes affamées, le sang menstruel a été l’élément clé pour expliquer l’attaque à ce moment.

Pour m’assurer de ne pas avoir une visite nocturne indésirée, je dois m’assurer de cuisiner loin de ma tente, mettre toute ma nourriture et les plats pour cuisiner dans un sac que j’accroche dans un arbre (ou dans un bocal alimentaire anti-ours), sans oublier d’y mettre mon dentifrice.

Installation d'une tente au Nauman Tentsite dans les White Mountains
Nauman Tentsite dans les White Mountains

C’est bien de prendre l’ensemble de ces précautions, mais si j’ai mes menstruations, est-ce que je me mets réellement en danger ? Les ours seront-ils attirés par mon sang menstruel ? Personnellement, j’avais l’impression que non, mais j’ai tout de même poussé mes recherches plus loin. Les résultats préliminaires confirmaient mon impression : non.

Il en ressort que les grizzlis et les ours noirs ne s’intéressent pas à vos menstruations mesdames. Il en serait toutefois peut-être autrement pour les ours polaires. En effet, selon une seule étude, ils auraient réagi à l’odeur du sang menstruel (ainsi qu’à l’odeur d’un phoque), plutôt qu’à l’odeur de nourriture et de sang humain non-menstruel qui ne les intéressaient pas. Dans la très grande majorité des situations, vous n’avez donc aucunement besoin de vous restreindre de faire du camping une semaine par mois.* Vous devez tout de même gérer les serviettes et les tampons souillés en forêt.

Le grand méchant loup !

Lorsque je suis partie en randonnée sur le Te Araroa, en Nouvelle-Zélande, je me suis munie d’une balise de localisation personnelle (BLP). En appuyant sur un bouton, je pouvais informer les autorités compétentes que je me trouvais en danger. Comme je partais seule et que je ne croiserais aucune civilisation pendant plusieurs jours, il s’agissait d’une décision réfléchie et responsable.

Pendant la randonnée, j’ai rencontré quelqu’un avec qui j’ai marché quelques jours. En discutant du fait que je portais une BLP, il m’a dit : 

C’est vrai que pour vous, les filles, c’est plus sécuritaire d’avoir une BLP .

Évidemment…

Crédit : GIPHY

Je regrette de ne pas lui avoir demandé d’explication sur son idée. Pourquoi j’étais davantage à risque que lui ?

Qu’est-ce que mon sexe change au fait que si je tombe d’une falaise ou me casse une jambe, j’aurai besoin d’aide ? Est-ce que mes connaissances des techniques de survie sont moindres parce que je suis une femme ?

Cette notion de dangerosité pour une femme en solo, je l’ai entendue plusieurs fois. Il y a davantage de risque de faire de la randonnée en solo qu’en groupe. J’en conviens. Toutefois, pourquoi sommes-nous plus inquiets lorsqu’il s’agit d’une femme ?

Apparemment, je cours le risque de tomber sur des hommes méchants qui pourraient m’agresser/me violer/me tuer. Personnellement, je considère que ce risque est beaucoup plus élevé en ville qu’en forêt. Je ne me sens donc pas menacée lorsque je suis seule dans un refuge avec un homme inconnu.

Sauf peut-être la fois où un homme est entré avec un fusil dans un refuge alors que j’y dormais seule. Après avoir réalisé que l’emplacement était également utilisé par des chasseurs, mon niveau de stress est revenu à la normale.

Bonne à marier — NOT

Est-ce que les femmes qui font ce genre d’activités se marient ?

Cette question a été posée à une amie partie en «  bikepacking » (randonnée de plusieurs jours en vélo de montagne ou « fatbike »). Qu’est-ce qu’on devrait comprendre ici ? Est-ce qu’elle est inintéressante pour un homme parce qu’elle est une femme forte et aventurière ?

Malheureusement, catégoriser les femmes selon des «  critères de sélection » masculins ne se limite pas au plein air. Par exemple, je suis tombée récemment sur un article qui parlait des types de femmes avec lesquelles les hommes avaient peur de s’investir à long terme.

On devrait pourtant arrêter de dire aux femmes qu’elles doivent correspondre à ceci ou cela si elles ne veulent pas finir leur vie triste et seule. Il n’y a rien de plus attirant qu’une personne qui s’assume pleinement avec ses qualités et ses défauts. De mon côté, je serai en couple avec un homme à qui je plairai tout simplement (et qui me plaira).

Je suis petite et forte. Je suis une aventurière. Je suis une femme et une randonneuse hors pair. À qui la chance ? 

*Voici les liens vers les sites internet qui relate les études abordant les ours et les menstruations

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