Cet article a été réédité depuis sa parution initiale sur mon ancien blogue MA Nouvelle-Zélande en van.
Le 8 décembre 2017, je m’élançais sur le Kepler Track que j’allais parcourir en quatre jours. Cinq jours plus tôt avait lieu le 30e Kepler Challenge, une course accueillant annuellement 450 participants. L’objectif ? Parcourir les 60 kilomètres du Kepler Track, incluant des dénivelés positifs et négatifs de 1350 mètres, à la course. Les plus rapides terminent la course en moins de cinq heures. Personnellement, mes aspirations étaient toutes autres : plaisir plutôt que performance, lenteur plutôt que vitesse.
Pour des informations techniques sur le Kepler Track, allez directement à la fin de l’article en cliquant ici.
Préparation et début du trek sur le Kepler Track
Il s’agit de la première fois que je me lance dans un trek solo depuis celui que j’ai fait, un an plus tôt, dans le parc national du Fjord-du-Saguenay. Comme je parcours le Kepler Track en sens inverse des recommandations, les chances de rencontrer quelqu’un qui le fait dans la même direction que moi sont limitées. Je me sens excitée à l’idée de réellement marcher seule pendant quatre jours. Par le passé, c’était intolérable de me retrouver seule avec ma petite voix dans ma tête. Cette voix est toutefois de moins en moins négative ; elle ne me juge presque plus. D’habitude, en nature, elle devient même positive. Ces moments deviennent donc des moments de découverte et de développement personnel.
Je me sens tout de même un peu nerveuse avant mon départ. Je viens tout juste de terminer un trek d’une durée de quatre jours également. Toutefois, le dénivelé était moins important et mon sac était également plus léger. L’un des refuges était plein au moment de faire ma réservation pour le Kepler Track. Je dors donc en tente la deuxième nuit ce qui implique une charge plus importante puisque je dois porter ma tente et mon matelas dans mon sac à dos.
Je considère avec une attention particulière le contenu de mon sac à dos. Je limite les vêtements à l’essentiel et je prends le temps de choisir le matériel dont j’ai réellement besoin. Comme je viens de terminer un trek ayant la même durée, je me sens plus confiante dans le choix de ce dont j‘ai besoin. Je peux retirer ce chandail supplémentaire, une paire de chaussettes et adapter la quantité de nourriture à mes besoins réels. Afin de me donner un coup de main, j’opte pour une solution facile et rapide pour mes repas : des repas déshydratés commerciaux. Il ne me reste qu’à y ajouter de l’eau chaude. Au menu : risotto de chevreuil, fettucine à l’agneau et poulet Tikka Masala. Qui a dit qu’il fallait se priver lors d’un trek ?
En regardant le planning de ma première journée, je me sens en confiance. J’ai 15 kilomètres à franchir, mais sans dénivelé.
Je mets moins de cinq heures pour me rendre au premier refuge. À peine ai-je le temps de m’y abriter que la pluie débute. Cela ne m’empêche pas d’aller me jeter dans le lac Manapouri situé juste en face. Il y a peu de sensations aussi agréables que de se retrouver dans une étendue d’eau après avoir marché toute la journée. J’élimine toutes les saletés, toute la sueur, mais surtout toutes les tensions accumulées dans mes jambes, mes épaules et mon cou. L’eau est froide, je n’y reste pas longtemps, mais je me sens tellement bien que je serais prête à repartir. Je suis déçue de ne pas pouvoir profiter de la vue autour du refuge en raison de la pluie. Je croise les doigts pour avoir plus de chance demain matin.
À mon arrivée au refuge, il est déjà rempli de randonneurs qui sont arrivés en sens inverse et qui ont parcouru la majorité du trek au cours des trois derniers jours. Ils ont eu beaucoup de temps pour faire connaissance et forment plusieurs petits groupes. Je suis de toute évidence la seule nouvelle et je me sens un peu intimidée. Je commence à discuter avec une autre randonneuse et, quelques minutes plus tard, je fais également partie du groupe.
J’ai toujours apprécié cet esprit de communauté qui règne chez les randonneurs, mais c’est un tout autre événement qui me le fait pleinement ressentir ce soir-là. En effet, peu de temps après mon arrivée, un groupe de gens se met à applaudir. Deux jeunes enfants viennent d’arriver. Âgés de 7 et 9 ans, ils parcourent le Kepler Track avec leurs parents depuis trois jours. Ils ont leur propre sac à dos qui parait aussi gros que le mien. En réalité, ils ont un sac proportionnel à leur grandeur. Je suis impressionnée, mais également touchée par l’appui que leur donne l’ensemble des randonneurs présents au refuge.
Kepler Track sous la pluie
Après une mauvaise nuit de sommeil, je commence ma deuxième journée avant huit heures. Devrais-je marcher sous la pluie aujourd’hui ? Selon les informations obtenues par le biais du garde forestier au refuge, il devrait pleuvoir pour la majeure partie de mon trek.
J’ai à nouveau plus de 15 kilomètres à franchir dans la journée avec peu de dénivelé. La matinée se déroule comme un charme. Je marche tranquillement sans croiser personne avant d’atteindre un abri. Pour l’instant, aucune trace de pluie. Si j’ai de la chance, j’arriverai au camping et pourrai installer ma tente au sec. Raté ! Moins d’une demi-heure plus tard, la pluie commence à tomber.
La forêt où je marche est d’un vert éclatant. La mousse et le lichen prennent toute la place et grimpent sur les troncs d’arbre. Je chemine sur le sentier qui me conduit directement en Terre du Milieu. Bien que le sentier ne soit pas un lieu de tournage du Seigneur des anneaux, les paysages et la végétation créent l’ambiance parfaite pour me faire rêver à ces aventures extraordinaires. La pluie s’intensifie, le tonnerre commence à se faire entendre, mais j’ai mes compagnons Frodon, Sam, Bilbo, Legolas et Gandalf qui m’encouragent à poursuivre.
Je traverse une section nommée « Big Slip » en référence à un éboulement ayant eu lieu en 1984. La végétation y est complètement différente. Une végétation jeune est en train de reprendre possession de l’endroit, mais la blessure de plus de 30 ans y est encore présente. Voir cette blessure naturelle mettre autant de temps à guérir me force à faire un parallèle avec les ravages que notre mode de vie industrialisé peut causer sur l’environnement. Combien de temps la planète mettra-t-elle à guérir ? C’est dans cet état d’esprit que je poursuis ma marche, sous une pluie torrentielle. Les arbres sont trop petits pour m’offrir une protection et je deviens complètement trempée.
Me voilà finalement au camping. Heureusement, il y a un abri pour cuisiner et m’abriter. À mon arrivée, je vois les pancartes m’avisant que je n’ai pas accès au refuge, mais que je peux bonifier ma réservation s’il y a des annulations de dernière minute, moyennant évidemment des frais supplémentaires. Je vois aussi qu’une autre tente est déjà installée. Courage ! Je ne suis pas la seule à camper malgré la pluie.
Rapidement, le second campeur vient me voir et me demande si j’ai l’intention de m’installer au camping. Il m’informe de ses propres plans :
J’ai décidé de m’installer au refuge. Il pleut trop pour faire du camping, c’est probablement dangereux avec le tonnerre et ma tente a pris l’eau.
Évidemment, le refuge apparaît chaud et réconfortant. En même temps, l’objectif de tout ce voyage n’est pas de choisir la simplicité. J’installe ma tente sous l’abri et la déplace ensuite dans un site pour les tentes. Une fois installée dans mon sac de couchage, je me réchauffe tranquillement et je m’endors en lisant avec le bruit de la pluie qui tombe sur ma tente. À ce moment-là, je ne regrette pas du tout le refuge.
Faune néo-zélandaise
Au réveil, la pluie a cessé et le soleil est apparu. Je profite du soleil pour me réchauffer et pour sécher mon linge, puis d’autres campeurs commencent à arriver. Ils sont dans un bien pire état que moi. Ils ont parcouru la section au-dessus de la limite des arbres et leur équipement a pris l’eau. Pour eux, le soleil est bien plus qu’un moment réconfortant, mais un sèche-linge naturel qui leur donnera la possibilité de dormir au sec. Aucune pluie en vue, mais les sandflies auront raison de nous et nous irons rapidement dans nos tentes après le repas.
Le Demi-dieu Tu Te Rakiwhanoa est le créateur du Fiordland. Ce dernier a créé l’ensemble du paysage époustouflant qu’on y trouve, ces montagnes escarpées, ces nombreuses chutes d’eau, cette forêt luxuriante, mais surtout l’ensemble de ces Fjords. Comme il s’agit de sa première grande œuvre, il a développé ses compétences de création au fil du temps. La touche finale de son œuvre a été un dernier Fjord, le Milford Sound. Au moment de la création du Milford Sound, Tu Te Rakiwhanoa avait atteint le sommet de son talent, atteignant ainsi la perfection dans sa création.
Toutefois, devant un paysage d’une telle beauté, les dieux se mirent à craindre que les hommes en viennent à oublier leur état de mortel. Ainsi, pour le leur rappeler, ils créèrent les sandflies qui abondent maintenant dans le Fiordland.— Légende Maori
Je lis dans ma tente depuis déjà plus d’une heure lorsque j’entends des sons suspects près de l’abri. J’y ai laissé mes chaussures pour les aider à sécher. Je sors de la tente et je surprends un Kea qui s’amuse avec mes bottes. Le Kea étant un oiseau intelligent, mais également voleur et brise-fer, je décide d’entrer tout mon équipement dans ma tente afin d’éviter qu’il se fasse détruire. Je me retrouve un peu serrée pour la nuit, mais avec la certitude que mon matériel sera en bon état au matin… sauf peut-être ma tente.
Au réveil, je constate que je ne suis pas la seule que les Keas ont tenté de voler. Les effets d’un campeur sont éparpillés un peu partout, la semelle d’une de ses chaussures a été retirée, mais tout semble en bon état et rien ne semble avoir disparu. Heureusement, ils ne se sont pas attaqués à nos tentes.
Dénivelé, crête et sommet du Kepler Track
La pluie a recommencé pendant la nuit. Selon la météo, elle devrait cesser en matinée. Je croise les doigts parce que je passerai la majeure partie de la journée très exposée à la pluie et au vent à des hauteurs où la température sera bien plus froide. J’ai tout juste le temps de me préparer, de ranger ma tente et de mettre mon équipement dans mon sac que la pluie cesse. Youpi! Ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas uniquement une brève accalmie et que le beau temps demeurera pour la journée.
Dès que je débute la journée, je commence rapidement à monter. Aujourd’hui, environ 1000 mètres de dénivelé. Les paysages ressemblent à ceux de la veille, toujours ce vert éclatant. Je vois parfois le paysage qui m’entoure au travers des arbres. Je suis excitée à l’idée de me retrouver sur la crête et d’avoir enfin une vue dégagée sur ce qui m’entoure.
La montée me prend environ trois heures. Sans dire qu’elle est facile, j’ai beaucoup plus de facilité à affronter de longues montées quand j’ai commencé un trek quelques jours plus tôt. Je me retrouve enfin au-dessus de la limite des arbres. Les paysages sont à couper le souffle. Je continue à grimper puis je fais un bref détour pour atteindre un sommet inconnu.
Je marche sur la crête pour me rendre au premier abri d’urgence. J’en comprends bien l’utilité. Les coups de vent sont tellement forts que j’ai presque peur de tomber. Il faut comprendre qu’avec un sac à dos d’environ 30 livres (14 kilos), je suis plus facile à déséquilibrer. Je parcours les crêtes étroites plus rapidement et j’oublie les pauses photos.
Lorsque j’atteins des endroits plus larges, j’en profite toutefois car les paysages qui m’entourent sont indescriptibles.
Je me retrouve finalement à l’abri d’urgence sur l’heure du dîner. Une toilette sans sa porte, voici un bel exemple de la force du vent dans les environs.
Une fois arrêtée, la température froide aidée par le vent s’impose à moi. Je décide de porter ma couche de vêtements plus chaude, mon bonnet d’hiver et mes gants.
Je sillonne les crêtes et les montagnes pendant les prochaines heures puis j’atteins un deuxième abri d’urgence. Les quelques personnes ayant brisé ma solitude depuis le début de la journée font place à une foule. Un groupe d’une trentaine d’élèves parcourt comme moi le Kepler Track. Je me retrouve à l’abri d’urgence en même temps qu’eux. Heureusement, comme ils vont dans le sens inverse, je retrouve bien vite ma quiétude.
Je prends une pause avant d’entamer la dernière montée pour atteindre le sommet du mont Luxmore à 1472 mètres. Pour se rendre au sommet, on doit faire un petit détour et j’ai bien envie de laisser mon sac derrière moi pour gambader jusqu’au sommet. Je n’ai pas peur de me faire voler par des humains, mais je crains de me faire voler par un Kea. J’observe les alentours, aucun Kea en vue, je décide de laisser mon sac ici et de profiter de ce soudain allègement pour flotter jusqu’au sommet.
La récompense finale :
Puis, j’obtiens la récompense de tous ces efforts. Je vois absolument tout autour de moi : les montagnes, les vallées, le lac Te Anau et la ville du même nom. La vue est splendide.
Bien que j’aie obtenu ma récompense, ma journée n’est pas terminée. J’ai encore un peu plus d’une heure de marche avant d’atteindre le dernier refuge. Je récupère mon sac. Aucun vol à déclarer. Je poursuis ensuite ma descente jusqu’à atteindre le refuge. Fatiguée de ma journée, je prends mes dernières gouttes d’énergie pour aller explorer une grotte à une dizaine de minutes du refuge. Malheureusement, je ne trouve personne pour aller explorer les cavités plus profondes et il n’est pas recommandé de s’y aventurer seule. Au refuge, tout le monde en est à leur première journée. Je suis l’une des premières, épuisée, à me diriger vers l’immense dortoir. Avec près de 50 lits dans un seul dortoir, il sera impossible d’échapper aux ronfleurs ce soir.
Ce n’est qu’un au revoir
Au matin, je me lève tôt puisque la pluie devrait s’intensifier au cours de la journée. Je parcours, en effet, une partie du sentier sous la pluie.
Après trois heures de marche, je suis enfin de retour à mon point de départ. En réalité, comme j’ai laissé ma voiture au Department of Conservation (DOC), il me reste encore quelques kilomètres à parcourir avant d’arrêter de marcher. Ces quelques kilomètres qui suivent le lac Te Anau sont définitivement les plus pénibles de tout le trek. Trempée et fatiguée, je rêve de pouvoir m’étendre. Ce que j’ai appris depuis longtemps, c’est que peu importe le nombre de jours que je marche, le dernier jour semble toujours être celui de trop.
Le 11 décembre 2017, je croyais dire adieu au Kepler Track. Il semble toutefois que je vais retourner voir le sommet du mont Luxmore dans une aventure d’une journée. Non, je n’ai pas l’intention de participer au 31ème Kepler Challenge.
À suivre…
Fiche technique
Longueur : 60 kilomètres (boucle)
Durée : 3 à 4 jours pour les randonneurs.
Points de départ et d’arrivée variés : Brod bay (water-taxi), Kepler Track Car Park ou Rainbow Reach Car Park. Il est ainsi possible de commencer à un endroit et terminer à un autre et raccourcir ainsi le parcours de quelques kilomètres.
Hébergement: 2 campings (Brod Bay et Iris Burn Campsite) et 3 refuges (Luxmore Hut, Iris Burn Hut et Moturau Hut).
Saison : octobre à mai.
Réservation : Important de réserver en avance. Si vous avez de la latitude dans vos dates, il est possible de surveiller les annulations et de réserver à quelques semaines d’avis ou à la dernière minute. Méthode qui ne garantit pas une place.
Les informations sur la Kepler Track fournies dans cet article sont pour un trek pendant sa saison normale. Pour effectuer le trek en hiver, il est nécessaire de se renseigner auprès du DOC en raison des dangers importants pendant la saison hivernale.
Le site internet du DOC permet d’obtenir l’ensemble des informations nécessaires, dont les différentes alertes, et d’effectuer votre réservation.
Parcours suggéré sur 3 jours (camping)
Départ et arrivée : Rainbow Reach Car Park
Jour 1 : Rainbow Reach Car Park à Brod Bay, 15,1 kilomètres, 4-5 heures selon le DOC, peu de dénivelé, facile.
Jour 2 : Brod Bay à Iris Burn Campsite, 22,8 kilomètres, 8 à 10 heures selon le DOC, beaucoup de dénivelé, intermédiaire à difficile.
Jour 3 : Iris Burn Campsite à Rainbow Reach Car Park, 22,2 kilomètres, 6 à 8 heures selon le DOC, peu de dénivelé, facile à intermédiaire.
Coût visiteurs internationaux (octobre 2018-mai 2019) : 40$ par camping, par personne. 80$ par personne pour les deux nuits.
Parcours suggéré sur 4 jours (refuge)
Départ et arrivée : Kepler Track Car Park
Jour 1 : Kepler Track Car Park à Luxmore Hut, 13,8 kilomètres, 5-6 heures selon le DOC, présence de dénivelé, intermédiaire.
Jour 2 : Luxmore Hut à Iris Burn Hut (possibilité de réserver un camping au même endroit pour diminuer les coûts), 14,6 kilomètres, 5-6 heures selon le DOC, présence de dénivelé, intermédiaire.
Jour 3 : Iris Burn Hut à Moturau Hut, 16,2 kilomètres, 5 à 6 heures selon le DOC, peu de dénivelé, facile.
Jour 4 : Moturau Hut à Kepler Track Car Park, 15,5 kilomètres, 4 à 5,5 heures selon le DOC, peu de dénivelé, facile.
Coût visiteurs internationaux (octobre 2018-mai 2019) : 130$ par refuge, par personne. 390$ par personne pour les trois nuits.
One response to “Kepler Track : Récit d’une randonnée époustouflante”
Allô Marie-Andrée,
Absolument fabuleux! Tellement intéressant!
On s’y croirait presque.
J’aurais un petit commentaire constructif à faire, c’est au sujet de la police utilisée pour ton blogue, en ce qui me concerne, il est difficile à lire et me force les yeux. Curieux! n’est ce pas? Ça ne m’arrive jamais. Je ne crois pas que ce soit mes lunettes… Mais bon, c’est peut-être juste moi. Ça ne m’empêchera pas de te lire avec beaucoup d’intérêt évidemment. Je suis impatiente de lire le prochain.